Entretien avec Vincent Pilloy, fondateur et directeur d’Innov 360 et coordinateur du Collectif Mobilité
- Quelles sont les raisons qui ont motivé à la création du Collectif Mobilité en 2020 et comment sa mission a-t-elle évolué depuis ?
Le principe du Collectif Mobilité est né lors de la crise du Covid-19, pendant le confinement du printemps 2020. Une vingtaine d’acteurs de la mobilité dans la métropole du Grand Paris et en Ile-de-France décident de lancer une série d’enquêtes pour comprendre l’impact de la crise Covid sur les pratiques de déplacements des habitants. La particularité de la démarche a été de pouvoir réaliser des enquêtes régulières (5 enquêtes en l’espace de 12 mois) auprès d’un large panel de plus de 10.000 volontaires représentant la variété de la population et des profils de déplacements. Nous avons pu ainsi suivre notamment la façon dont le télétravail s’est mis-en-place et a changé les modalités de déplacements domicile-travail pour les personnes concernées, tout au long de la crise.
L’objectif du Collectif Mobilité a évolué vers une analyse plus large de la façon dont les habitants des grandes aires métropolitaines modifient (ou non) leurs façons de se déplacer.
A partir de 2021 et la fin de la crise Covid, l’objectif du Collectif Mobilité a évolué vers une analyse plus large de la façon dont les habitants des grandes aires métropolitaines modifient (ou non) leurs façons de se déplacer, en particulier au regard des objectifs de réduction des émissions carbone liées aux transports, et qui amènent tous les acteurs (collectivités, autorités, opérateurs et fournisseurs de services de transports et de mobilité, fabricants de véhicules, gestionnaires d’infrastructures, fournisseurs d’énergie et fournisseurs de technologies associés) à mettre en place de nouvelles règles, de nouvelles incitations, de nouveaux services ou de nouveaux véhicules et technologies.
Désormais, nous interrogeons les habitants des aires de Paris, Lyon, Lille et Strasbourg, deux fois par an, à travers une enquête Tendances Mobilité (ETM) et une enquête thématique (ETH) portant sur différents sujets.
- Comment travaillez-vous avec les partenaires publics et privés qui vous rejoignent ?
Le Collectif Mobilité est une démarche ouverte qui accueille aussi bien les acteurs publics que les acteurs privés. La combinaison des points de vue d’acteurs publics, grandes métropoles et plus petites intercommunalités, mais aussi des agences d’urbanisme présentes sur le territoire, avec ceux d’acteurs privés, grands groupes, PME, startups, avec des métiers de constructeurs, opérateurs, producteurs ou prestataires, nous aide à préparer des questionnaires approfondis et à partager de nombreux axes d’analyse. Ce travail conjoint nous permet aussi de mieux comprendre que le même habitant/usager est souvent utilisateur ou client de différents produits et services mais aussi que les territoires sont interdépendants sur beaucoup de sujets.
- Comment menez-vous vos études et comment garantissez-vous la représentativité des panels dans vos enquêtes, notamment dans des territoires aux profils parfois différents ?
Grâce à l’aide de nos membres, nos enquêtes sont diffusées le plus largement possible, notamment dans l’ensemble des territoires couverts, aussi bien dans les métropoles que dans leurs périphéries. Grâce à la multiplication des canaux de diffusion mais aussi à un engagement important des répondants qui apprécient l’aspect collectif de la démarche et son but d’intérêt général, nous disposons d’un panel d’inscrits de plus de 10.000 habitants en Ile-de-France, bien répartis géographiquement entre paris, la couronne métropolitaine et la grande couronne. En complément, les résultats de nos enquêtes sont obtenus en redressant les données selon les référentiels sexe, âge, catégorie socio-professionnelle et lieu d’habitation.
- Sur l’ETM (Enquête Tendances Mobilités) 2025, étude annuelle conduite par le collectif, y a-t-il des indicateurs ou des thématiques inédites par rapport aux éditions précédentes ? Pouvez-vous partager un ou deux résultats particulièrement marquants de cette édition ?
En 2025, nous avons, pour la première fois, questionné nos panels sur la pratique de la marche à pied. Les résultats font ressortir une appétence croissante pour la marche, avec 30% des répondants déclarant une pratique en hausse, motivée principalement par des bénéfices pour la santé/le bien-être et pratiquée de façon complémentaire à la voiture, au transport en commun, ou au vélo. Cette tendance est à rapprocher de celle en faveur du vélo qui confirme l’intérêt pour les modes actifs. Les répondants plébiscitent les aménagements facilitant cette pratique, en admettant aussi que le manque de temps peut constituer une limite à celle-ci.
L’ETM 2025 nous a permis aussi de mesurer l’impact positif de la nouvelle tarification des transports en commun lancée en début d’année, en Ile-de-France. Pour 25% des répondants de grande couronne, cette tarification a eu un impact positif sur leurs déplacements. Cette évolution a aussi amené environ 20% des personnes interrogées à opter pour le pass Navigo Liberté+ leur permettant de bénéficier des meilleurs tarifs et d’un usage flexible.
Le Collectif réalise également des enquêtes thématiques, une sur la voiture publiée en 2023 et une sur le vélo publiée en 2024, qui étudient les comportements des franciliens et leur rapport à des formes de mobilité.
- Sur la voiture, quel est le rapport des habitantes et habitants de la zone dense à ce moyen de transport ?
Nous avions pu établir un consensus assez généralisé sur la nécessité de réduire les usages automobiles, tout particulièrement dans la métropole du Grand Paris.
Lors de notre enquête sur la « transition automobile » de 2023, nous avions pu établir un consensus assez généralisé sur la nécessité de réduire les usages automobiles, tout particulièrement dans la métropole du Grand Paris, où nous mesurons régulièrement des taux de motorisation mais aussi des fréquences d’usage de l’automobile en baisse. Pour autant, c’est plutôt du côté de la petite couronne mais aussi de la grande couronne parisienne que nous avions détecté pour près de 40% des répondants une intention de réduire leurs déplacements automobiles, de se reporter sur de nouveaux modes ou de nouvelles pratiques comme le covoiturage ou l’autopartage, voire pour quelques personnes d’ « abandonner » leur voiture.
- Quels sont les motifs principaux pour lesquels les utilisateurs optent pour la voiture plutôt qu’un autre mode ?
Au-delà des raisons environnementales, les motivations sont assez différentes selon le lieu d’habitation. Les Parisiens considèrent désormais majoritairement la voiture comme peu efficace et contraignante pour leur mobilité quotidienne, et vont privilégier naturellement les solutions alternatives. Dès que l’on passe le périphérique, c’est le gain de temps qui motivent le plus les utilisateurs à privilégier la voiture. Inversement, c’est l’aspect financier qui amène ces utilisateurs à réduire leur usage automobile.
- Parmi les répondants qui disent vouloir réduire leur usage de la voiture, quelles alternatives citent-ils ?
Concernant les nouveaux usages automobiles, 58% des répondants à notre enquête de 2023 indiquait avoir déjà pratiqué le co-voiturage (en dehors de la famille), beaucoup avec le covoiturage longue-distance ou encore à travers un test de covoiturage courte-distance. L’autopartage est quant à lui, moins connu, et notamment en dehors de Paris mais près de 48% des répondants indiquent un intérêt de principe soit en remplacement soit en complément de leur voiture actuelle.
Nous prévoyons de renouveler notre enquête sur « la transition automobile » en 2026 et sommes impatients de comprendre comment les usages continuent à évoluer mais aussi comment les Franciliens envisagent de renouveler leurs véhicules, notamment avec l’électrification croissante des voitures (100% électrique, hybride simple ou hybride rechargeable) ou au contraire de privilégier des services comme l’autopartage et le covoiturage.
- Sur le vélo, quel regard portez-vous sur l’augmentation de sa pratique, notamment depuis la pandémie ? Comment expliquez-vous cette augmentation des usages, et quels freins subsistent encore ?
Ce qui ressort clairement de nos différentes enquêtes, c’est un engouement pour le vélo et le vélo électrique. En septembre 2023, notre enquête thématique sur le sujet avait détecté que 50% de nos répondants avaient démarré le vélo dans les 3 années ayant suivi le Covid. Nos enquêtes annuelles confirment qu’il s’agit d’une tendance de fond dont les pratiquants retirent beaucoup de satisfaction, sachant que la motivation principale est très nettement le souhait de pratiquer une activité physique extérieure et d’améliorer leur bien-être.
Dans les prochaines années, le développement des aménagements cyclables et leur extension aux principaux axes du territoire devraient continuer à lever des freins pour de nouveaux usagers qui hésitent encore.
Dans les prochaines années, le développement des aménagements cyclables et leur extension aux principaux axes du territoire devraient continuer à lever des freins pour de nouveaux usagers qui hésitent encore. Le problème du vol de vélo et donc le développement du stationnement sécurisé constitue l’autre frein principal à une adoption plus forte.
- Quel futur des mobilités partagées envisagez-vous au regard des résultats de vos différentes études ? Voyez-vous des freins structurels persistants à la transition vers ces mobilités ?
Dans la Métropole du Grand Paris, les mobilités partagés recouvrent des services et des approches assez différents. Côté vélo, Velib’ a participé et participe largement à faciliter l’accès à la pratique du vélo, encore renforcé par l’ajout des vélos électriques qui connaissent un très/trop grand succès. C’est vrai aussi pour Veligo qui a décidé beaucoup d’utilisateurs à franchir le pas, et ensuite à s’équiper d’un vélo personnel.
Les vélos partagés sont devenus une partie intégrante du système transport dans la métropole.
Avec l’ajout des vélos en free-floating, qui élargissent aussi la pratique aux visiteurs, les vélos partagés sont devenus une partie intégrante du système transport dans la métropole. Ils apportent complémentarité et flexibilité aux transports en commun et sont utilisés soit exclusivement, soit à la place d’un vélo personnel dans certaines situations.
Pour l’autopartage, l’augmentation de la pratique tient d’abord dans la possibilité à augmenter l’offre d’autopartage sur la Métropole du Grand Paris mais surtout de proposer ce service dans la durée. Cette dernière est en effet notablement inférieure à l’offre d’autopartage qui peut être trouvée dans des métropoles où elle s’est implantée plus massivement. Ces dix dernières années ont aussi été marquées par l’arrêt d’Autolib’ puis par le lancement et l’arrêt de nombreux services d’autopartage comme Zity, Car2Go, Ubeeqo… Dans ce domaine, les opérateurs d’autopartage doivent s’inscrire dans la durée (typiquement 10-15 ans) avec les moyens de faire grossir leur flotte de véhicules et le soutien de la collectivité, pour réussir à convertir une proportion importante des habitants. Dans une métropole comme Montréal, plus de 30% des foyers possèdent un abonnement à l’autopartage Communauto, dans certains quartiers. Compte tenu du niveau des transports en commun et des services de mobilité existants, un résultat comparable pourrait être obtenu dans la métropole du Grand Paris, avec un engagement long terme sur le sujet, au côté d’opérateurs expérimentés et engagés.